Bertolt Brecht – La Légende du soldat mort (1918)
En ces jours où l’on n’entend parler que de guerre, voici un poème de Brecht qui en rappelle toute l’absurdité.
Otto Dix - Soldat blessé (automne 1916, Bapaume) (1924)
-1- Et quand la guerre en fut à son 5ème printemps
Et n’offrait aucune perspective de paix
Alors le soldat en tira les conséquences
Et il mourut en héros.
-2- Mais la guerre n’en était point encore rendue à son terme
Or donc l’Empereur fut fort marri
Que son soldat fût mort:
Car il était mort avant son heure.
-3- L’été glissait au-dessus des tombes
Et déjà le soldat dormait
Et voici qu’une nuit arriva une
Commission militaire médicale.
-4- La commission médicale s’en fut
Au cimetière
Et à l’aide d’une bêche bénie
Elle déterra le soldat mort.
-5- Et le docteur examina le soldat
-Du moins ce qu’il en restait encore-
Et le Docteur conclut qu’il était “bon pour le service”
Mais qu’il tirait au flanc pour échapper au danger.
-6- Et ils emmenèrent illico le soldat
La nuit était bleue et belle
Quand on n’avait pas de casque sur la tête
On pouvait apercevoir les étoiles au-dessus de notre pays.
-7- Ils lui flanquèrent une giclée de gnôle
Dans sa carcasse putréfiée
Accrochèrent deux infirmières à son bras
Et sa bonne femme à moitié nue.
-8- Et comme le soldat pue la décomposition
Un cureton, cahin caha, marche en tête
Il balance un encensoir autour du soldat
Pour réduire la puanteur.
-9- En tête la musique, zimbamboum
Joue une marche fringante
Et le soldat, comme il l’a appris,
Agite ses guiboles en cadence.
-10- Deux infirmiers l’entourent
Fraternellement de leurs bras
Sinon il se planterait la tronche dans la boue
Et ça, il ne faut surtout pas.
-11- Sur la chemise du mort
Ils peignent les trois couleurs noir- blanc- rouge
Et la brandissent devant lui,
Les couleurs cachent la saleté.
-12- Un monsieur en frac marche aussi devant
Avec un plastron amidonné
Ce type, en sa qualité d’homme allemand,
Lui, il sait quel est son devoir.
-13- Et les voilà,zimbamboum,
Qui descendent l’avenue sombre
Et avec eux, le soldat,titubant,
Comme un flocon de neige dans la tempête.
-14- Les chiens et les chats se mettent à hurler
Les rats dans les champs couinent comme des sauvages:
Ils ne veulent pas devenir français
Ce serait la honte.
-15- Et quand ils traversent les villages
Toutes les bonnes femmes sont là
Les arbres s’inclinent, la pleine lune brille
Et tout le monde crie hourra!
-16- Et zimbamboum et Salut, Adieu,
Et les bonnes femmes, et les chiens et le cureton
Et au milieu le soldat mort
Comme un macaque ivre-mort
-17-Et quand ils traversent les villages
Il arrive que personne ne le voit
Tant il y a de monde autour de lui
Avec les zimboum et les hourra
-18- Il y en a tant qui dansent et qui braillent autour de lui
Que personne ne le voit
Seulement d’en haut on peut encore le voir
Mais là-haut il n’y a que les étoiles.
-19- Les étoiles ne sont pas éternellement là
Car il y a l’aube qui point
Quant au soldat, comme il l’a appris
Il s’en va mourir en héros.
merci d’avoir trouver ce poème, il montre à merveille ce non-sens phénoménal qu’est la guerre et à plus forte raison la boucherie de 14-18
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