René Char – Antonin Artaud (1948)

Je n’ai pas la voix pour faire ton éloge, grand frère.
Si je me penchais sur ton corps que la lumière va éparpiller,
Ton rire me repousserait.
Le cœur entre nous, durant ce qu’on appelle improprement
un bel orage,
Tombe plusieurs fois,
Tue, creuse et brûle,
Puis renaît plus tard dans la douceur du champignon.
Tu n’as pas besoin d’un mur de mots pour exhausser ta vérité,
Ni des volutes de la mer pour oindre ta profondeur,
Ni de cette main fiévreuse qui vous entoure le poignet,
Et légèrement vous mène abattre une forêt
Dont nos entrailles sont la hache.
Il suffit. Rentre au volcan.
Et nous,
Que nous pleurions, assumions ta relève ou demandions :
« Qui est Artaud ?» à cet épi de dynamite dont aucun
grain ne se détache,
Pour nous, rien n’est changé,
Rien, sinon cette chimère bien en vie de l’enfer qui prend
congé de notre angoisse.

11 mars 1948

***

René Char (1907-1988) – Recherche de la base et du sommet (Gallimard, 1955)

~ par schabrieres sur Mai 12, 2009.

6 Réponses to “René Char – Antonin Artaud (1948)”

  1. Cette braise si ardente
    qu’elle nous glace…
    la poésie.

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  2. Éloge confraternel
    ———————

    René Char vers Artaud se tourne comme un frère ;
    Il nous fait admirer cet être de lumière
    Dont le rire inquiétant pourrait nous faire peur,
    Ainsi qu’un bruit de foudre en un soir de torpeur.

    Il montre aussi comment cette voix se fait douce
    Plus que dans un sous-bois ne l’est la verte mousse.
    Il montre cette main, arme d’imprécation,
    Pour laquelle point n’est besoin d’explication.

    Char, c’est à ton honneur de relever Artaud.
    Pour voguer dans le rêve il te lègue un bateau
    Qui se déplace vite, au vent de la colère :
    Et ne le confonds pas avec une galère !

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  3. Je ne sais ce que René Char aurait pensé de ce poème mais il me plait à penser qu’il l’aurait trouvé très beau. Superbe est mon avis. Merci

    Aimé par 1 personne

  4. Grâce à ce lien, vous trouverez un autre hommage à Antonin Artaud, le poème « La mort d’Artaud » d’Henri Thomas lu par l’auteur à 5’07. Si vous en voulez plus, vous trouverez à 2’47 des anecdotes sur Artaud dont Thomas était l’ami.

    Ou cette version ;

    J’aime

  5. Le titre du poème est en fait Mort d’Artaud.
    J’ai retranscrit la poésie d’Henri Thomas à partir des lectures ci-dessus. Je ne suis du coup pas sûr de la ponctuation et de l’orthographe. Je le met quand même et corrigerai dès que possible, à moins qu’une âme généreuse ne s’en charge.

    Cette main qui faisait signe contre le vitre
    Va la chercher dans le cimetière d’Ivry
    Et la voix et la gesticulation du pitre
    Qu’on avait entendu chanté durant la nuit

    Une dernière fois envoyée d’un bras gourd
    La hache a rebondit sur le bloc d’acajou
    D’où ne surgira pas le totem vrai, le clou
    Qui reste inarraché dans l’être pour toujours

    Artaud s’assied, visage en cendres dans le vent
    C’est l’aube où fume encore un dernier campement
    L’âtre noire où se perd la piste du voyage
    Du cavalier qui monte en chantant vers l’orage

    Artaud meurt essayant d’enfiler sa chaussette
    Mais le Tibet retient la main qui se dessèche
    Artaud plein de pavots étouffés dans sa tête
    Artaud dit non dans son cercueil aux coups de bêches

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  6. […] René Char – Antonin Artaud (1948) […]

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