Samuel Beckett – Mort de A.D.
et là être là encore là
pressé contre ma vieille planche vérolée du noir
des jours et nuits broyés aveuglément
à être là à ne pas fuir et fuir et être là
courbé vers l’aveu du temps mourant
d’avoir été ce qu’il fut fait ce qu’il fit
de moi de mon ami mort hier l’oeil luisant
les dents longues haletant dans sa barbe dévorant
la vie des saints une vie par jour de vie
revivant dans la nuit ses noirs péchés
mort hier pendant que je vivais
et être là buvant plus haut que l’orage
la coulpe du temps irrémissible
agrippé au vieux bois témoin des départs
témoin des retours
*
Death of A.D.
and there to be there still there
pressed against my old plank scabbed with black
days and nights blindly ground
to being there and to not fleeing and fleeing and being there
bent toward the avowal of time dying
of having been what was does what it did
to me to my friend dead yesterday gleaming eye
long teeth panting in his beard devouring
the life of saints a life by day of life
reliving in the night its black sins
dead yesterday while I lived
and to be there drinking above the storm
the guilt of time irremissible
gripping the old wood witness to departures
witness to returns
1949
***
Samuel Beckett (1906-1989) – Poèmes, suivi de mirlitonnades (1978) (Minuit) – Selected Poems 1930-1989
(Faber and Faber, 2009)
Samuel Beckett a écrit ce poème en hommage à son ami et collègue à l’hôpital de la Croix Rouge Irlandaise à Saint-Lô, le docteur Arthur Darley, mort le 30 décembre 1948 à l’âge de 35 ans.
Il y a tellement tout Beckett dans chaque œuvre de Beckett. C’est impressionnant. Si on a une carence, un de ses poèmes est un apport en Beckett suffisant.
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