Salvador Dali – La métamorphose de Narcisse (1937)
Quand l’anatomie claire et divine de Narcisse
se penche sur le miroir obscur du lac,
quand son torse blanc plié en avant
se fige, glacé,
dans la courbe argentée et hypnotique de son désir,
quand le temps passe
sur l’horloge des fleurs du sable de sa propre chair,
Narcisse s’anéantit dans le vertige cosmique
au plus profond duquel chante
la sirène froide et dionysiaque de sa propre image.
Le corps de Narcisse se vide et se perd
dans l’abîme de son reflet,
comme le sablier que l’on ne retournera pas.
Narcisse, tu perds ton corps,
emporté et confondu par le reflet millénaire de ta disparition,
ton corps frappé de mort
descend vers le précipice des topazes aux épaves jaunes de l’amour,
ton corps blanc, englouti,
suit la pente du torrent férocement minéral
des pierreries noires aux parfums âcres,
ton corps…
jusqu’aux embouchures mates de la nuit
au bord desquelles
étincelle déjà
toute l’argenterie rouge
des aubes aux veines brisées dans « les débarcadères du sang ».
Narcisse,
comprends-tu ?
La symétrie, hypnose divine de la géométrie de l’esprit, comble déjà ta tête de ce sommeil inguérissable, végétal, atavique et lent
qui dessèche la cervelle
dans la substance parcheminée
du noyau de ta proche métamorphose.
La semence de ta tête vient de tomber dans l’eau.
L’homme retourne au végétal
et les dieux
par le sommeil lourd de la fatigue
par l’hypnose transparente de leurs passions.
Narcisse, tu es si immobile
que l’on croirait que tu dors.
S’il s’agissait d’Hercule rugueux et brun,
on dirait : il dort comme un tronc
dans la posture
d’un chêne herculéen.
Mais toi, Narcisse,
formé de timides éclosions parfumées d’adolescence transparente,
tu dors comme une fleur d’eau.
Voilà que le grand mystère approche,
que la grande métamorphose va avoir lieu.
Narcisse, dans son immobilité, absorbé par son reflet avec la lenteur digestive des plantes carnivores, devient invisible.
Il ne reste de lui
que l’ovale hallucinant de blancheur de sa tête,
sa tête de nouveau plus tendre,
sa tête, chrysalide d’arrière-pensées biologiques,
sa tête soutenue au bout des doigts de l’eau,
au bout des doigts,
de la main insensée,
de la main terrible,
de la main coprophagique,
de la main mortelle
de son propre reflet.
Quand cette tête se fendra
Quand cette tête se craquellera,
Quand cette tête éclatera,
ce sera la fleur,
le nouveau Narcisse,
Gala – mon narcisse
***
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~ par schabrieres sur juillet 29, 2009.
Publié dans Salvador Dali
Étiquettes: dali, métamorphose, narcisse, surréalisme
9 Réponses to “Salvador Dali – La métamorphose de Narcisse (1937)”
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Merci de m’avoir fait découvrir ce poème de Dali. Je connaissais son œuvre picturale mais j’ignorais tout de ce texte.
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Il sait jouer des mots comme des formes. Un poème pictural, une peinture textuelle, un génie.
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magnfique interprétation , aussi délirante que son oeuvre . fusion totale entre la poésie et le maitre du surréalisme.
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3 liens merveilleux :
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[…] de savoir que Dali a longuement commenté son oeuvre, à travers un texte que vous pouvez lire ici. De là à comprendre ce qu’il a vraiment voulu représenter, il y a un monde, mais vous […]
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Narcisse en leurres (3) « Mise en mots said this on janvier 14, 2012 à 4:12 |
Dali fascination ! Merci pour ce poème que je ne connaissais pas 🙂
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[…] Πηγή: Salvador Dali – La métamorphose de Narcisse (1937) […]
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Salvador Dali – La métamorphose de Narcisse (1937) – worldtraveller70 said this on avril 25, 2017 à 11:38 |
[…] n’est pas jaloux des saucisses ; C’est un modeste, le narcisse, Il suffit de le rencontrer Pour que notre sort […]
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[…] coing béni des cieux, favori de Narcisse, La décomposition ne saurait te toucher : Au rameau verdoyant, tu te tiens attaché, Tu as mûri […]
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