Pablo Neruda – La morte
Si brusquement tu cesses d’exister,
Si brusquement tu ne vis plus,
Moi je vivrai.
Je n’ose pas,
Je n’ose pas écrire:
Si tu meurs.
Moi je vivrai.
Car là où on ne laisse pas parler un homme
Ma voix s’élève.
Là où le bâton s’abat sur les Noirs,
Je ne peux pas, moi, être mort.
Si l’on met en prison mes frères
Il faudra qu’on m’y mette aussi.
Quand la victoire,
Non ma victoire,
Mais la grande victoire
Arrivera,
Même muet je devrai parler:
Je la verrai, serais-je aveugle, s’avancer.
Mais non, pardonne-moi.
Si toi tu ne vis plus,
Si toi, ma chérie, mon amour,
Si toi
Tu meurs,
Toutes les feuilles tomberont sur ma poitrine,
Il pleuvra sur mon âme nuit et jour,
La neige brûlera mon cœur,
J’avancerai avec du froid, du feu, la mort, la neige,
Mes pieds voudront marcher vers le lieu où tu dors,
Pourtant
Je resterai vivant,
Puisque tu m’auras aimé en toutes choses
Indomptable
Et que tu sais bien, mon amour, que je ne suis pas seulement
Un homme
Mais tous les hommes.
*
La muerta
Si de pronto no existes,
si de pronto no vives,
yo seguiré viviendo.
No me atrevo,
no me atrevo a escribirlo,
si te mueres.
Yo seguiré viviendo.
Porque donde no tiene voz un hombre
allí, mi voz.
Donde los negros sean apaleados
yo no puedo estar muerto.
Cuando entren en la cárcel mis hermanos
entraré yo con ellos.
Cuando la victoria,
no mi victoria,
sino la gran victoria
llegue
aunque esté mudo debo hablar:
yo la veré llegar aunque esté ciego.
No, perdóname.
Si tú no vives,
si
tú, querida, amor mío,
si tú
te has muerto,
todas las hojas caerán en mi pecho,
lloverá sobre mi alma noche y día,
la nieve quemará mi corazón,
andaré con frío y fuego y muerte y nieve,
mis pies querrán marchar hacia donde tú duermes,
pero
seguiré vivo,
porque tú me quisiste sobre todas las cosas
indomable,
y, amor, porque tú sabes que soy no sólo un hombre
sino todos los hombres.
***
Pablo Neruda (1904-1973) – Los versos del Capitán (1952) – Les Vers du Capitaine (Gallimard, 1984) – Traduit de l’espagnol (Chili) par Claude Couffon.