Tin Ujević – Lamentation quotidienne (Svakidašnja jadikovka, 1916)

Comme il est dur d’être tout faible,
comme il est dur d’être tout seul,
et d’être vieux et d’être jeune !

Et d’être faible et sans forces,
et d’être seul, tout seul au monde,
et tout inquiet et sans espoir.

De traîner sur toutes les routes,
d’être écrasé jusqu’à la boue,
sous l’étoile qui luise en ciel.

Sous l’étoile du destin
qui brilla sur le berceau,
sans arcs-en-ciel ni illusions.

– Mon Dieu, mon Dieu, rappelle-toi
les promesses si flamboyantes
qu’autre fois tu m’avais faites.

Mon Dieu, mon Dieu, souviens-toi
et de l’amour, des victoires,
et des lauriers, et des cadeaux.

Et sache que ton fils voyage
par cette vallée de larmes, le monde,
sur les ronces et sur les pierres,

en errant et allant nulle part,
et ses pieds sont ensanglantés,
et tout son coeur blessé à mort.

Et tous ses os sont fatigués,
et son âme est attristée,
et il est seul, abandonné.

Et il n’a pas de soeur ni frère,
et il n’a pas de père ni mère,
et pas d’aimée et pas d’ami.

Et nulle part personne ni rien
sinon l’épine dans son coeur,
sinon le feu qui brûle ses mains.

Et seul tout seul il voyage
sous cet azur bien renfermé
devant l’immense obscurité.

Auprès de qui se lamenter ,
Personne ne daigne l’écouter
même pas ses frères qui errent de même.

Mon Dieu, qu’elle brûle ta parole !
Et que ma gorge est étranglée,
elle a envie de s’écrier.

Cette parole est un bûcher,
c’est mon devoir de l’exprimer
sinon moi je prendrai feu.

Et je serai un feu de montagne
et l’air qui vibre dans la flamme
si je ne la calme sur les toits !

Mon Dieu, mon Dieu pourvu qu’elle cesse
cette errance si douloureuse
sous la voûte qui n’entend pas.

Car il me faut un mot puissant,
car il me faut une réponse ferme
ou, sans l’amour, une sainte mort.

Amère, ta guirlande d’absinthe,
et noire la coupe de fiel –
j’invoque l’ardente canicule !

Car il me pèse d’être faible,
car il me pèse d’être seul
( quand je pourrais être fort

et quand je pourrais être aimé )
le plus pénible, surtout, pourtant
c’est d’être vieux si jeune encore !

*

Svakidašnja jadikovka

Kako je teško biti slab,
kako je teško biti sam,
i biti star, a biti mlad !

I biti slab, i nemoćan,
i sam bez igdje ikoga,
i nemiran, i očajan.

I gaziti po cestama,
i biti gažen u blatu,
bez sjaja zvijezde na nebu.

Bez sjaja zvijezde udesa
sto sijaše nad kolijevkom
sa dugama i varkama.

– O Bože, Bože, sjeti se
svih obećanja blistavih
što si ih meni zadao.

O Bože, Bože, sjeti se
i ljubavi, i pobjede
i lovora i darova.

I znaj da Sin tvoj putuje
dolinom svijeta turobnom
po trnju i po kamenju,

od nemila do nedraga,
i noge su mu krvave,
i srce mu je ranjeno.

I kosti su mu umorne,
i duša mu je žalosna,
i on je sam i zapušten.

I nema sestre ni brata,
i nema oca ni majke,
i nema drage ni druga.

I nema nigdje nikoga
do igle drača u srcu
i plamena na rukama.

I sam i samcat putuje
pod zatvorenom plaveti,
pred zamračenom pučinom,

i komu da se potuži?
Ta njega nitko ne sluša,
ni braća koja lutaju.

O Bože, žeže tvoja riječ
i tijesno joj je u grlu,
i željna je da zavapi.

Ta besjeda je lomača
i dužan sam je viknuti,
ili ću glavnjom planuti.

Pa nek sam krijes na brdima,
pa nek sam dah u plamenu,
kad nisam krik sa krovova !

O Bože, tek da dovrši
pečalno ovo lutanje
pod svodom koji ne čuje.

Jer meni treba moćna riječ,
jer meni treba odgovor,
i ljubav, ili sveta smrt.

Gorak je vijenac pelina,
mračan je kalež otrova,
ja vapim žarki ilinštak.

Jer mi je mučno biti slab,
jer mi je mučno biti sam
(kada bih mogao biti jak,

kada bih mogao biti drag),
no mučno je, najmučnije
biti već star, a tako mlad!

*

Daily Lament

How hard it is not to be strong,
how hard it is to be alone,
and to be old, yet to be young!

and to be weak, and powerless,
alone, with no one anywhere,
dissatisfied, and desperate.

And trudge bleak highways endlessly,
and to be trampled in the mud,
with no star shining in the sky.

Without your star of destiny
to play its twinklings on your crib
with rainbows and false prophecies.

– Oh God, oh God, remember all
the glittering fair promises
with which you have afflicted me.

Oh God, oh God, remember all
the great loves, the great victories,
the wreaths of laurel and the gifts.

And know you have a son who walks
the weary valleys of the world
among sharp thorns, and rocks and stones,

through unkindness and unconcern,
with his feet bloodied under him,
and with his heart an open wound.

His bones are full of weariness,
his soul is ill at ease and sad,
and he’s neglected and alone,

and sisterless, and brotherless,
and fatherless, and motherless,
with no one dear, and no close friend,

and he has no-one anywhere
except thorn twigs to pierce his heart
and fire blazing from his palms.

Lonely and utterly alone
under the hemmed in vault of blue,
on dark horizons of high seas.

Who can he tell his troubles to
when no-one’s there to hear his call,
not even brother wanderers.

Oh God, you sear your burning word
too hugely through this narrow throat
and throttle it inside my cry.

And utterance is a burning stake,
though I must yell it out, I must,
or, like a kindled log, burn out.

Just let me be a bonfire on
a hill, just one breath in the fire,
if not a scream hurled from the roofs.

Oh God, let it be over with,
this miserable wandering
under a vault as deaf as stone.

Because I crave a powerful word,
because I crave an answering voice,
someone to love, or holy death.

For bitter is the wormwood wreath
and deadly dark the poison cup,
so burn me, blazing summer noon.

For I am sick of being weak,
and sick of being all alone
(seeing I could be hale and strong)

and seeing that I could be loved),
but I am sick, sickest of all
to be so old, yet still be young!

1916

***

Tin Ujević (1891-1955) – Traduit du croate par Jugoslav Gospodnetic – Translated from Croatian by Richard Berengarten and Daša Marić.

~ par schabrieres sur juin 10, 2010.

5 Réponses to “Tin Ujević – Lamentation quotidienne (Svakidašnja jadikovka, 1916)”

  1. Solitude que le poète en lamentations transcende et clame. Que cette douleur exprimée avec ces mots là reflète bien le ressentimement de nombreux autres !

    Aimé par 1 personne

  2. Sur le grand océan de la vie
    Tout seul
    Sans voile
    A la rame.

    Aimé par 1 personne

  3. Sur le petit étang de la vie
    Surpeuplé
    Dans un Steamer luxueux.

    Aimé par 1 personne

  4. Sur une goutte d’eau de vie
    Assoiffé
    A cœur du plus grand des océans.

    Aimé par 1 personne

  5. Sur le sel d’une larme
    dévasté
    au bord du précipice

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

 
PAGE PAYSAGE

Blog littéraire d'Etienne Ruhaud ISSN 2427-7193

anthonyhowelljournal

Site for art, poetry and performance.

azul griego

The blue and the dim and the dark cloths / Of night and light and the half light

Au-dessus d'un million de toits roses, Sabine Aussenac

Pour dire le monde…par Sabine Aussenac, professeur agrégée d'allemand et écrivain.

ni • ko • ru

Freestyle - inventing it as I do it by merging elements of pragmatism and improvisation.

En toutes lettres

Arts et culture

A nos heurs retrouvés

“Elle dit aussi que s'il n'y avait ni la mer ni l'amour personne n'écrirait des livres.” Marguerite Duras

Luis Ordóñez

Realizador y guionista

Waterblogged

Dry Thoughts on Damp Books

Rhapsody in Books Weblog

Books, History, and Life in General

Romenu

Over literatuur, gedichten, kunst, muziek en cultuur

Acuarela de palabras

Compartiendo lecturas...

Perles d'Orphée

Quelques larmes perlent sur l'âme d'Orphée : Musique - Poésie - Peinture - Sculpture - Philosophie

renegade7x

Natalia's space

Cahiers Lautréamont

Association des Amis Passés Présents et Futurs d'Isidore Ducasse

366 Weird Movies

Celebrating the cinematically surreal, bizarre, cult, oddball, fantastique, strange, psychedelic, and the just plain WEIRD!

LE MONDE DE SOLÈNE

"RÊVER C'EST SE TAIRE"

Fernando Calvo García

Poeta con pasión

Le Trébuchet

Chroniques par C. M. R. Bosqué

Book Around the Corner

The Girl With the TBR Tattoo

lyrique.roumaine

poètes roumains des deux derniers siècles

Anthony Wilson

Lifesaving Poems

Messenger's Booker (and more)

Australian poetry interviews, fiction I'm reading right now, with a dash of experimental writing thrown in

Reading in Translation

Translations Reviewed by Translators

Ricardo Blanco's Blog

Citizen of Nowhere

La Labyrinthèque

Histoire de l'art jouissive & enchantements littéraires

Je pleure sans raison que je pourrais vous dire

« Je pleure sans raison que je pourrais vous dire, c'est comme une peine qui me traverse, il faut bien que quelqu'un pleure, c'est comme si c'était moi. » M. D.

L'Histoire par les femmes

L'Histoire par les femmes veut rappeler l’existence de ces nombreuses femmes qui ont fait basculer l’histoire de l’humanité, d’une manière ou d’une autre.

Traversées, revue littéraire

Poésies, études, nouvelles, chroniques

Le Carnet et les Instants

Le blog des Lettres belges francophones

Manolis

Greek Canadian Author

Littérature Portes Ouvertes

Littérature contemporaine, poésie française, recherche littéraire...

The Manchester Review

The Manchester Review

fragmsite

secousse sismique travaillant l’épaisseur d’une lentille de cristal, cette fin du monde de poche s’exprimait tout entière dans la syllabe fragm, identique de “diaphragme” à “fragment”, comme une paillette pierreuse qu’on retrouve pareille à elle-même dans des roches de structures diverses mais dont les éléments principaux, de l’une à l’autre, demeurent constants (Michel Leiris)

Outlaw Poetry

Even when Death inhabits a poem, he does not own it. He is a squatter. In fact, Death owns nothing. - Todd Moore

Locus Solus: The New York School of Poets

News, links, resources, and commentary on poets and artists of the New York School, by Andrew Epstein