Jules Laforgue – La cigarette (1880)
Oui, ce monde est bien plat ; quant à l’autre, sornettes.
Moi, je vais résigné, sans espoir, à mon sort,
Et pour tuer le temps, en attendant la mort,
Je fume au nez des dieux de fines cigarettes.
Allez, vivants, luttez, pauvres futurs squelettes.
Moi, le méandre bleu qui vers le ciel se tord
Me plonge en une extase infinie et m’endort
Comme aux parfums mourants de mille cassolettes.
Et j’entre au paradis, fleuri de rêves clairs
Ou l’on voit se mêler en valses fantastiques
Des éléphants en rut à des choeurs de moustiques.
Et puis, quand je m’éveille en songeant à mes vers,
Je contemple, le coeur plein d’une douce joie,
Mon cher pouce rôti comme une cuisse d’oie.
***
C’est un sonnet en alexandrins dégingandés, c’est léger et impertinent, dansant des pirouettes comme un menuet décadent. Ça a plus d’un siècle et c’est moderne. C’est Jules Laforgue, et ça j’aime.
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Il a raison! Et la liberté bordel!
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Ce poème ! quelle surprise de le retrouver ici ! Un des premiers qui me donna le goût de cet art étrange qu’est la poésie… Le premier quatrain est brillantissime, inusable, du travail d’orfèvre.
Le seul « reproche » que je puisse faire aux poèmes de Laforgue, c’est que malgré leur inventivité, leur malice, leur virtuosité, ils manquent encore trop de cœur, de nudité le ton est encore trop farceur, trop potache; Laforgue ne va pas jusqu’au bout, reste déguisé, il ne met pas tout sur la table.
Voilà pourquoi je le tiens en moins haute estime que Corbière, qui lui écrivit ses amours jaunes avec l’encre de son sang et connut une destinée pareillement voire plus misérable…
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