Paul Valéry – L’ange (1945)
Une manière d’ange était assis sur le bord d’une fontaine.
Il s’y mirait, et se voyait Homme, et en larmes, et il s’étonnait à l’extrême de s’apparaître dans l’onde nue cette proie d’une tristesse infinie.
(Ou si l’on veut, il y avait une Tristesse en forme d’Homme qui ne se trouvait pas sa cause dans le ciel clair.)
La figure qui était sienne, la douleur qui s’y peignait, lui semblaient tout étrangères. Une apparence si misérable intéressait, exerçait, interrogeait en vain sa substance spirituelle merveilleusement pure.
– « Ô mon Mal, disait-il, que m’êtes-vous ? »
Il essayait de se sourire : il se pleurait. Cette infidélité de son visage confondait son intelligence parfaite ; et cet air si particulier qu’il observait, une affection si accidentelle de ses traits, leur expression tellement inégale à l’universalité de sa connaissance limpide, en blessaient mystérieusement l’unité.
– « Je n’ai pas sujet de pleurer, disait-il, et même, je ne puis en avoir. »
Le Mouvement de sa Raison dans sa lumière d’éternelle attente trouvait une question suspendre son opération infaillible, car ce qui cause la douleur dans nos natures inexactes ne fait naître qu’une question chez les essences absolues ; – cependant que, pour nous, toute question est ou sera douleur.
– « Qui donc est celui-ci qui s’aime tant qu’il se tourmente ? disait-il. Je comprends toute chose ; et pourtant, je vois bien que je souffre. Ce visage est bien mon visage ; ces pleurs, mes pleurs… Et pourtant, ne suis-je pas cette puissance de transparence de qui ce visage et ces pleurs, et leur cause, et ce qui dissiperait cette cause ne sont que d’imperceptibles grains de durée ? »
Mais ces pensées avaient beau se produire et propager dans toute la plénitude de la sphère de la pensée, les similitudes se répondre, les contrastes se déclarer et se résoudre, et le miracle de la clarté incessamment s’accomplir, et toutes les Idées étinceler à la lueur de chacune d’entre elles, comme les joyaux qu’elles sont de la couronne de la connaissance unitive, rien toutefois qui fût de l’espèce d’un mal ne paraissait à son regard sans défaut, rien par quoi s’expliquât ce visage de détresse et ces larmes qu’il lui voyait à travers les larmes.
– « Ce que je suis de pur, disait-il, Intelligence qui consume sans effort toute chose créée, sans qu’aucune en retour ne l’affecte ni ne l’altère, ne peut point se reconnaître dans ce visage porteur de pleurs, dans ces yeux dont la lumière qui les compose est comme attendrie par l’humide imminence de leurs larmes. »
– « Et comment se peut-il que pâtisse à ce point ce bel éploré qui est à moi, et qui est de moi, et qui est de moi, puisqu’enfin je vois tout ce qu’il est, car je suis connaissance de toute chose, et que l’on ne peut souffrir que pour en ignorer quelqu’une ?
« Ô mon étonnement, disait-il, Tête charmante et triste, il y a donc autre chose que la lumière ? »
Et s’il s’interrogeait dans l’univers de sa substance spirituelle merveilleusement pure, où toutes les idées vivaient également distantes entre elles et de lui-même, et dans une telle perfection de leur harmonie et promptitude de leurs correspondances, qu’on eût dit qu’il eût pu s’évanouir, et le système, étincelant comme un diadème, de leur nécessité simultanée substituer par soi seul dans sa sublime plénitude.
Et pendant une éternité, il ne cessa de connaître et de ne pas comprendre.
Mai 1945
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…on ne cesse d’apprendre…d’essayer de comprendre.. de croire savoir…
Lumiere cendree…Lumiere du Soleil …
voir la Lumiere…et se laisser aller .
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Voilà un très beau texte, qui, je crois, prend ironiquement le contre-pied du mythe de Narcisse (où c’est plutôt l’image qui est angélique). Narcisse humain tend vers l’ange jusqu’à s’y noyer, mais Narcisse ange ne comprend pas l’humain…
Narcisse au bord de l’eau contemplait son image
Oh c’est moi croyait-il se penchant davantage
Quand il tomba dans l’eau l’image disparut
Mais Narcisse en relief à sa place apparut.
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