Franck Venaille – Autoportrait en homme qui crie
Pas assez crié dans ma vie. Pas assez hurlé ! que cela se déchire, là-dedans, en pleine poumonerie. Ce qu’il faut c’est bien regarder à l’intérieur de soi. Le cri vient vite dès que les images se font plus nettes. Las ! Pas assez. Pas assez crié à la mort. Hurlé, oui, mais pas assez. Je vous en conjure : criez pendant qu’il est temps encore. Après ce sera dans l’impossible. Pour le moment c’est calme. Les agités sont devenus gisants. Ils tiennent la nuit dans leurs mains. Crié ! Hurlé ! Pas suffisamment. Vous fixez un point bien précis devant vous et, normalement le cri doit l’atteindre. La mort est partout. Partout. La mort. Celle qui vous saisit par le poignet pour ne plus vous lâcher. Plus jamais. Jamais plus. Votre poignet. Le point de chute du cri ? Je ne sais plus. Ce qu’il faut c’est se méfier de tout ce qui a rapport à l’humide. Cela atténue le son. Et un mort crierait-il encore si on le laissait faire ? C’est ça. Pas assez de déchirure. Jamais assez. Et plus encore. Jamais. A la mort comme on crie à l’aide. Parfois ça ne sort pas de la bouche. Cela demeure dans les intestins du cerveau. on crie. personne ! Mais puisque je vous dis que rien ne viendra. Aider. Faire les gestes qui conviennent. On crie. Dans votre silence. Mais pas assez crié ! Jamais assez. Jamais.
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Franck Venaille (né en 1936) – Ça (Mercure de France, 2009)
Crier c’est vivre; dès la naissance nous crions.
Ne plus crier c’est oublier quelle est la saveur de la vie, c’est vivre la vie des morts-vivants, des fantômes, des zombies.
Le cri c’est le réveil; jamais il ne saura trop tard,. Même au bord du précipice, la vie est encore là, pour repousser la mort toujours plus loin.
« Tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir » selon le proverbe bien connu: le cri c’est cet espoir qui s’incarne dans nos chairs, comme une piqure de rappel, un vaccin contre la mort.
« Maintenant habitue-toi à la pensée que la mort n’est rien pour (=par rapport à) nous, puisqu’il n’y a de bien et de mal que dans la sensation et que la mort est absence de sensation. »
(Epicure, Lettre à Ménécée)
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Une certaine vision objective de l’intime
L’inapaisement de son ciel – du rouge au blanc -,
ses manèges – ses marches enfantines pour trouver les mots justes,
son envie du Christ sans passer par la foi du charbonnier
mais les yeux dans les yeux avec les vrais questionnements de la foi,
les soucis des élus christiques eux-mêmes,
un certain désir de mimétisme avec l’animal pour sonder la nuit des temps,
en pleine chasse de lucidité,
cette façon de se mettre en retrait du tableau,
de ses tables poétiques,
comme s’il parlait toujours d’un autre, avec cette distance lointaine et chic,
comme si la poésie était une quête éternelle de soi-même,
une force bien sûr mais aussi une invisibilité,
un rêve éveillé.
S’il criait, s’il écrivait pour se réveiller enfin de cette nuit vivante,
ne cherchait-il pas à se réveiller avant tout, sans cri, apaisé enfin ?
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