Henri Thomas – Toute l’âme dépensée…
Toute l’âme dépensée
entre les amis d’un jour,
les désolantes pensées
et les avides amours
je n’ai plus que cette rose
éclose par habitude,
arme frêle que j’oppose
à la noire inquiétude.
***
Henri Thomas (1912-1993) – Signe de vie (Gallimard, 1944)
VOTRE ATTENTION S’IL VOUS PLAIT.
Il se peut que mon commentaire vous paraisse interminable et que vous vous apprêtiez à renoncer à le lire. Si c’est le cas, je vous conseille de vous rendre directement à la fin de ce message ou de cliquer sur ce lien, 8 mn 30 avec le trop peu connu Henri Thomas, 8mn 30 en compagnie d’un homme au heureux, c’est communicatif (l’argument ultime).
http://m.youtube.com/watch?v=Dt0Vp0GtWqg
Bonne journée.
Pour vous, la totale !
J’ai lu ce poème vendredi matin avant de partir au travail. Je n’avais pas eu le temps d’y adjoindre un commentaire, me voilà au travail. Il m’a plu. Parfois les poèmes ne plaisent pas et c’est assez rare qu’un commentaire face état de ce déplaisir. Ça a été le cas pour un poème récemment publié d’André Schmitz « L’amant de papier ». EmmanuelleT a écrit « J’aime pas ! ». Ça m’a plu cette formule sans fioritures pour commenter un poème. Autrement dis ;
J’aime bien
« J’aime pas »
Les poèmes existent pour être aimés, comme nous. Il arrive qu’ils ne le soient pas, comme nous.
Le poème de Thomas est composé de deux quatrains de vers réguliers heptasyllabiques, impaires donc selon le goût de Verlaine, les rimes sont alternées. La première rime est suffisante, les trois autres pauvres. Les deux premières rimes sont masculines, les deux dernières féminines. Il y a encore quelqu’un ? Je plaisante mais c’est comme ça qu’on dégoute des générations d’élèves de la poésie et que la vidéo que j’ai mis en lien totalise même pas 500 vues.
Il y a dans cette poésie des contraintes qui donnent un rythme et une musicalité mais le recours à la contrainte a une autre fin que ce passage du livre « La disparition » de G.Perec rend compte ;
« Tout naquit d’un souhait fou, d’un souhait nul, assouvir jusqu’au bout la fascination du cri vain, sortir du parcours rassurant du mot trop subi, trop confiant, trop commun. N’offrir au signifiant qu’un goulot, qu’un boyau, qu’un chas, si aminci, si fin, si aigu qu’on y voit aussitôt sa justification. Ainsi surgit l’affirmation s’opposant à l’omission. Ainsi durcit l’affranchi issu du contraint. Ainsi s’ourdit l’imagination. Ainsi du plus obscur aboutit-on au plus clair. »
En l’occurrence la contrainte de Perec pour écrire ce texte est de ne pas utiliser la lettre « e ». Un lipogramme en « e ». Dans la poésie dite moderne, celle qu’on retrouve quasiment exclusivement sur ce site, il n’y a pas de contrainte. Les vers sont dits libres. Au regard de nos prédécesseurs, avant Baudelaire, ces textes n’auraient pas été considéré comme des poésies. Il n’y a pas de contrainte de forme en fait mais pour autant n’y a t’il pas de contraintes ?
La contrainte de la poésie est de détourner les mots de leur fonction informative que le poète ait recours à une contrainte de forme ou pas. Le but étant de s’extraire d’un sentiment d’enfermement. Les exemples sont multiples de ces poètes et artistes qui expriment ce sentiment. Il y a Perec cité plus haut « ainsi durcit l’affranchit issu du contraint ». Toujours à propos de Perec, je viens de lire un passage d’un livre de Bernard Noël dans lequel il reproduit un échange avec l’auteur de la disparition, ce dernier rétorque à la « stupéfaction admirative » que lui témoigne B.Noël au sujet de ce livre ;
– Tu comprends, comme je n’ai aucune imagination, il faut bien que je trouve des trucs pour m’en donner !
Se passer d’une lettre de l’alphabet, un lipogramme, c’est un des procédés de l’Oulipo (L’Ouvroir de littérature potentielle) qui utilise la contrainte comme permettant d’accéder à l’inconnu, de stimuler l’imagination.
L’ Oulipien se compare à « un rat qui construit lui-même le labyrinthe dont il se propose de sortir », encore une fois la référence à un enfermement.
Paul Valet comme Vincent Van Gogh ont aussi recours à cette image de l’enfermement pour parler de leur vie intérieur.
Emmurés vivants
À travers le mur de mes sens, je pressens d’autres emmurés vivants.
J’écris, c’est un mystère
Je vis, c’est un miracle
Depuis des siècles et des siècles, je crie :
Au SECOURS !
On me répond : attendez votre tour.
Paul Valet
» On ne saurait toujours dire ce que c’est qui enferme, qui mure, qui semble enterrer, mais on sent pourtant je ne sais quelles barres, quelles grilles, des murs. » Vincent Van Gogh
Comment trouver du nouveau, de l’inconnu ?
Il faudrait pouvoir se jeter dans l’inconnu mais entre nous et l’inconnu il y a un mur. Je parle d’un inconnu qui n’est pas la mort mais plutôt la vie. La mort, cette autre inconnue dont parle aussi Baudelaire dans ce poème du recueil « les fleurs du mal » ;
Le Voyage – VIII
O Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l’ancre !
Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l’encre,
Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons !
Verse-nous ton poison pour qu’il nous réconforte !
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ?
Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau !
Baudelaire qui a « choisi » jusqu’au bout de sa vie (les guillemets sont ironiques, en effet peut-on parler d’un choix lorsqu’il s’agit de se suicider ?) d’oeuvrer artistiquement, en s’attelant à la poésie, pour s’ouvrir donc et nous ouvrir par la même occasion. En cela les artistes sont des bienfaiteurs de l’humanité. Malheureusement, Il semble que pour certains la création artistique n’y ai pas suffi à se libérer et ils sont nombreux, je pense à Van Gogh « l’emmuré » évoqué au début de ce commentaire.
Rimbaud pour briser les murs de sa pensée cherche à provoquer un dérèglement des sens, il a opté pour ce faire de vivre une existence de débauche : « Maintenant, je m’encrapule le plus possible. »
Henry Michaux a parfois eu recours à des substance psychotropes pour stimuler son imagination (qu’il dit…) Lui aussi exprime un désir d’évasion dans le poème clown :
« Un jour j’arracherai l’ancre qui tient mon navire loin des mers »
C’est de cette sensation d’enfermement que naît la beauté, d’une tentative de s’en extraire. L’œuvre d’art, la poésie, une rose fragile que l’on oppose à la noire inquiétude. Ce poème me plait de plus en plus au fur et à mesure que je le commente. J’ai vu qu’il est extrait d’un recueil qui s’intitule « signe de vie ». « Un signe de vie humaine » voilà comment je définirais l’art.
Voilà le lien pour Henry Thomas, c’est une première partie d’un entretien. Je n’ai pas encore visionné les suivantes. Un homme heureux. J’ai retranscrit une partie du texte mais ce serais vraiment dommage de se passer de l’intégralité de la vidéo. Henri explique comment il est entré en poésie, visiblement il n’en ait pas sorti.
http://m.youtube.com/watch?v=Dt0Vp0GtWqg
Voilà un extrait de l’entretien que j’ai reproduis par écris ;
– Henri Thomas ;
J’ai eu une jeunesse interminable, je peux le dire et toujours je mettais la poésie au dessus du roman, au dessus de n’importe quelle prose, je n’étais pas content tant que je ne sentais pas ce niveau poétique et puis petit à petit je me suis habitué à écrire en prose, je suis descendu dans une espèce de carrière.
– L’interviewer ;
Un oiseau, l’œil du poète
s’en empare promptement,
puis le lâche dans sa tête
ivre, libre, éblouissant,
Hubert Jouin dit que tout Henri Thomas est dans ces quatre vers.
– Henri Thomas ;
En effet, c’est bien possible, j’ai senti le mouvement de l’oiseau et pas seulement de l’oiseau mais de la vie, de la vie, de la vie qui cherche à s’échapper en nous, en nous, qui est en même temps notre prisonnière et notre libération. La poésie m’a donné à des moments favorables une sensation de liberté qui était au dessus de tout, je n’étais plus coupable de rien, je pouvais faire des fantaisies qu’on aurait qualifiées de coupables, elles ne l’étaient plus. Elle était liée, si j’ose le dire à l’amour. Je ne les séparais pas, c’est pour ça que je pleure en y pensant.
Fin de l’extrait.
La poésie, la liberté, l’amour…
Ah ! Giauque que je déclame les vendredi soir sur un Blues Rock du feu de Dieu (j’espère pouvoir le faire écouter une fois au point, ça peut durer…)
« Amour prisonnier des tentacules de l’angoisse
je deviens fou à essayer de t’unir à mes jours atroces »
C’est par la poésie que Giauque tente de se libérer de l’angoisse, de libérer la vie prisonnière, de libérer l’amour prisonnier.
Sinon une poésie personnelle. C’est pas un oiseau dont je me suis emparé et que j’ai lâché dans ma tête mais on lâche ce que l’on veut dans sa tête après tout, pourvu que l’on éprouve un vent de liberté. « On a le droit de le faire » comme dirait Marguerite Duras dans « écrire ». Quelques vers de mirliton. C’est une expression d’un grand fugitif, au premier et au second degré ! Enfin ex – fugitif pour le premier degré et je l’espère vivement, toujours fugitif pour le second degré, grâce la poésie. S’il pouvait m’emmener encore en cavale !
Dans son regard d’un noir intense
Je vois briller l’espérance
De mille et une décadences
Des losanges en avalanche
Ornent sa douce peau blanche
Du bout du pied jusqu’à la hanche
Mon oeil épris de beauté
Est pris dans ce filet brodé
Tendu pour ma félicité
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En matière de poésie, je n’ai qu’un mot: liberté. La poésie
doit s’affranchir de toutes les limites et de toutes les contraintes.
Mais je n’ai rien contre les vers « non libres » c’est à dire rimés.
De la contrainte naît parfois la liberté.
Merci pour ce commentaire magistral !
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Voilà quelques citations en lien avec le texte ci-dessus ;
« Dans le désordre de la pensée naît la poésie. » Georges Bataille
« On ne peut pas émouvoir sans que le trouble soit en jeu » Georges Bataille
« C’est par le biais de l’ouverture, de la brisure que l’identité artistique tant à se configurer. L’acte créateur s’avère une é-motion, une sortie de soi du sujet débordé, … »
Henry Bauchau
« Je cherche une fêlure, une fêlure pour être brisé. »
de Georges Bataille
Extrait de L’expérience intérieure
Tierce Si tu ne crois pas en la parole du monde Qui te croira ?
Si tu n’aimes pas la matière Qui t’aimera ?
Et si tu n’entends pas son rire Qui te brisera ?
Henry Bauchau
« Certains lapsus, tout à coup, dans la phrase nous éclairent sur nous-mêmes, remplaçant un mot par l’autre et ce mot malencontreux est un moyen par quoi la poésie échappe et parfume la phrase. Ces mots sont un danger pour la compréhension pratique du discours. »
Jean Genet Miracle de la rose
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