Rainer Maria Rilke – Parcours nocturne
Rien ne peut se comparer. Qu’est ce qui n’est pas entièrement
seul avec soi, en effet, et y eut-il jamais chose à dire ;
nous ne nommons rien, il nous est seulement permis d’endurer
et de nous persuader que çà et là un éclat,
çà et là un regard nous a peut-être effleurés
comme si précisément cela qui est notre vie
vivait à l’intérieur. A qui résiste,
le monde n’advient pas. Et à qui comprend trop,
l’éternel se dérobe. Parfois
dans de grandes nuits pareilles à celle-ci nous sommes comme
hors de danger, partagés en fragments égaux,
répartis en étoiles. Comme elles sont pressantes.
*
Nächtlicher Gang
Nichts ist vergleichbar. Denn was ist nicht ganz
mit sich allein und was je auszusagen;
wir nennen nichts, wir dürfen nur ertragen
und uns verständigen, dass da ein Glanz
und dort ein Blick vielleicht uns so gestreift
als wäre grade das darin gelebt
was unser Leben ist. Wer widerstrebt
dem wird nicht Welt. Und wer zu viel begreift
dem geht das Ewige vorbei. Zuweilen
in solchen großen Nächten sind wir wie
außer Gefahr, in gleichen leichten Teilen
den Sternen ausgeteilt. Wie drängen sie.
*
Nocturnal Walk
All’s past compare ! What is not utterly
in self-aloneness ? What can be expressed ?
We’ve names for nothing, we endure at best,
and come to feel that here a gleam, maybe,
and there a glance has traversed us in such
manner as though within it that existed
which is our life. For one who has resisted
no world has risen. And one knowing too much
eternity will by-pass. Overspread
by these great nights, we seem at moments long
past reach of peril and distributed
lightly among the stars. Oh, how they throng !
Capri, 17 April 1908
***
Rainer Maria Rilke (1875-1926) – Poèmes à la nuit (Verdier, 1994) – Traduit de l’allemand par Gabrielle Althen et Jean-Yves Masson – Préface de Marguerite Yourcenar – Poems 1906 to 1926 (New Directions, 1957) – Translated by J.B. Leishman.
Il existe environ deux Rilke. J’aime un peu l’un, et l’autre je l’adore — et c’est celui-ci.
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Le côté obscur de Rilke ?
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Plus frontal je dirais… Mais oui, quand il avance dans le très obscur avec sa lampe frontale ^^
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Un des mes livres préférés de Rilke est « Le livre de la pauvreté et de la mort ». Plutôt sombre.
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Rien ne se peut comparer. Qu’y a-t-il, en effet,
qui n’est seul avec soi, et à jamais, que dire?
Nous ne nommons rien, nous ne pouvons que subir
et nous persuader qu’ici un reflet
et là un regard peut-être nous ont effleurés
comm’ si était vivant à l’intérieur
cela-même qui est notre vie. Le monde n’affleure
pour qui résiste. Et l’éternel est voilé
pour qui a trop compris. Nous sommes parfois
comme hors de tout danger au fond de telles
nuits de grandeur, répartis là sans poids
en parts égales d’étoiles. Comme ell’s appellent!
*
Nothing’s comparable. For what’s not all
alone with its own self, and what to say,
ever? We name nothing, we only may
endure and tell ourselves that here a small
shimmer and there a glance perhaps come touch
us as though within them lived the precise
thing that is our life. No world will rise
for he who balks. And he who grasps too much,
for him the eternal’s shrouded. We might
sometimes in such great nights appear as though
we’re out of danger, split apart in light
equal star parts. Oh, they’re pressing us so!
***
Traductions : Claude Neuman (Rilke, Poèmes Choisis / Selected Poems, édition trilingue, Ressouvenances, 2018)
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