Primo Levi – À bon port
Heureux celui qui arrive à bon port,
Qui laisse derrière lui les mers et les tempêtes,
Dont les rêves sont morts ou jamais ne sont nés,
Et qui s’assied, qui boit, à l’auberge de Brême,
Près de l’âtre, et il se sent en paix.
Heureux celui comme une flamme éteinte,
Heureux celui comme le sable des estuaires,
Qui a posé le fardeau, s’est essuyé le front
Et repose au bord du chemin.
Il ne craint rien, ni n’espère, ni n’attend,
Mais regarde, fixement, le soleil qui se couche.
*
L’approdo
Felice l’uomo che ha raggiunto il porto,
Che lascia dietro di sé mari e tempeste,
I cui sogni sono morti o mai nati,
E siede a bere all’osteria di Brema,
Presso al camino, ed ha buona pace.
Felice l’uomo come una fiamma spenta,
Felice l’uomo come sabbia d’estuario,
Che ha deposto il carico e si è tersa la fronte,
E riposa al margine del cammino.
Non teme né spera né aspetta,
Ma guarda fisso il sole che tramonta.
*
Arrival
Happy the man who’s come to port,
Who leaves behind him seas and storms,
Whose dreams are dead or never born;
Who sits and drinks by the fire
At the beer hall in Bremen, and is at peace.
Happy the man like a flame gone out,
Happy the man like estuary sand,
Who has laid down his burden and wiped his brow
And rests by the side of the road.
He doesn’t fear or hope or wait,
But stares intently at the setting sun.
September 10, 1964
***
Primo Levi (1919-1987) – Ad ora incerta (1984) – A une heure incertaine (Gallimard, 1997) – Traduit de l’italien par Louis Bonalumi – The Survivor (Penguin Classics, 2018) – Translated by Jonathan Galassi.
Sublime !
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Stupenda 🌹
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Poème de la lassitude de vivre, et pourtant de l’espoir, encore, que vivre soit possible. Il résonne.
Je pense à « Emportez-moi dans une caravelle… » de Michaux, aux sandales sur le rivage de Nicolas Bouvier, au déguisement en rivière d’Harrison. A certaines chansons de Gianmaria Testa (« come le onde del mar »).
Faire encore de la fatigue un poème.
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Merci beaucoup Anne.
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Gianmaria Testa – Come le onde del mare
Mais certaines de nos soirées ont une couleur
Que tu ne saurais dire
Suspendues entre le bleu et l’amarante
Et elles vibrent d’un rythme lent, lent
Et nous qui les passons à attendre
Nous les savons prisonnières
Comme les ondes de la mer,
Comme les étoiles de la mer.
Si les heures de certaines de nos soirées
Avancent et nous enchantent
Et sont sur le point de partir et de se coucher
Et de survoler lentement, lentement
Mais nous qui les savons prisonnières
Nous ne pouvons pas les libérer
Comme les ondes de la mer
Comme les étoiles de la mer.
*
Ma certe nostre sere hanno un colore
che non sapresti dire
sospese fra l’azzurro e l’amaranto
e vibrano di un ritmo lento, lento
e noi che le stiamo ad aspettare
noi le sappiamo prigioniere
come le onde del mare,
come le stelle del mare.
si muovono e c’incantano le ore
di certe nostre sere
e sanno di partenza e di tramonto
e di sorvolare lento, lento
ma noi che le sappiamo prigioniere
non le possiamo liberare
come le onde dal mare
come le stelle dal mare
*
Yet some of our evenings have a colour
you couldn’t express
suspended between the blue and rich purple
that vibrate in a rhythm so slow, so slow
and we, who are expecting them
we know they are imprisoned
like the waves of the sea
like the stars of the sea
they move and enchant us, those hours
of some our evenings
and they taste like departures and sunsets
and like flying over so slow, so slow
yet we, who know they are imprisoned
we can’t set them free
like the waves from the sea
like the stars from the sea
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Je le garde tout près de moi, celui-là. À portée d’âme.
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Merci beaucoup Caroline. Gardez-le longtemps à portée d’âme.
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