Olga Orozco – Avec cette bouche, ici-bas
Jamais je ne prononcerai ton nom, verbe sacré,
même si je teignais mes gencives de bleu,
même si je glissais une pépite d’or sous ma langue,
même si je versais sur mon coeur un chaudron d’étoiles
et si le courant secret des grands fleuves passait sur mon front.
Peut-être auras-tu fui du côté de la nuit de l’âme,
celui qu’on ne peut pas atteindre à partir d’une lampe,
alors qu’il n’existe pas d’ombre qui guide mon vol sur le seuil
ni de mémoire qui vienne d’un autre ciel prendre chair sur cette neige dure
où seuls se gravent le frôlement de la branche et la plainte du vent.
Et nul frisson qui fasse tressaillir les pierres muettes.
Nous avons trop parlé du silence.
Nous l’avons décoré comme une vigie sur l’arc final,
comme si la splendeur gisait en lui après la chute,
le triomphe du mot, langue tranchée.
Ah ! il ne s’agit pas de la chanson ni du sanglot !
J’ai déjà dit ce qui fut aimé et perdu ;
avec chaque syllabe j’ai entravé le bon et le mauvais que je craignais le plus de perdre.
Au long du couloir monte et retentit l’obstinée mélodie ;
comme le tonnerre grondent et se propagent
quelques rares monnaies tombées des visions ou arrachées à la nuit.
Notre long combat fut aussi un combat à mort contre la mort, poésie.
Nous avons gagné. Nous avons perdu.
Car, comment nommer avec cette bouche ?
Comment nommer ici-bas avec cette seule bouche ici-bas avec cette seule bouche ?
*
Con esta boca, en este mundo
No te pronunciaré jamás, verbo sagrado,
aunque me tiña las encías de color azul,
aunque ponga debajo de mi lengua una pepita de oro,
aunque derrame sobre mi corazón un caldero de estrellas
y pase por mi frente la corriente secreta de los grandes ríos.
Tal vez hayas huido hacia el costado de la noche del alma,
ese al que no es posible llegar desde ninguna lámpara,
y no hay sombra que guíe mi vuelo en el umbral,
ni memoria que venga de otro cielo para encarnar en esta dura nieve
donde sólo se inscribe el roce de la rama y el quejido del viento.
Y ni un solo temblor que haga sobresaltar las mudas piedras.
Hemos hablado demasiado del silencio,
lo hemos condecorado lo mismo que a un vigía en el arco final,
como si en él yaciera el esplendor después de la caída,
el triunfo del vocablo con la lengua cortada.
¡Ah, no se trata de la canción, tampoco del sollozo!
He dicho ya lo amado y lo perdido,
trabé con cada sílaba los bienes que más temí perder.
A lo largo del corredor suena, resuena la tenaz melodía,
retumban, se propagan como el trueno
unas pocas monedas caídas de visiones o arrebatadas a la oscuridad.
Nuestro largo combate fue también un combate a muerte con la muerte, poesía.
Hemos ganado. Hemos perdido.
Porque ¿cómo nombrar con esa boca,
cómo nombrar en este mundo con esta sola boca en este mundo con esta sola boca?
***
Olga Orozco (1920-1999) – Con esta boca, en este mundo (1994) – Traduit de l’espagnol (Argentine) par Claude Couffon.
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