Jean-Marc Desgent – Là-bas…

Là-bas, les forces de l’effondrement ; j’ai petits cœurs dans le vêtement mité, le sacrificiel que je me fais tous les jours : je me maintiens en croix. Une entrée pas de sortie, être lisse glisse et sans mal, pas de fente ou d’anti-fente, de queue brisée, de bout de queue, de contre-fente ou de sur-queue, comme la question du non-être et l’univers des sutures.

L’air est furieux.
Il y a le cri de quelqu’un qui ressemble à la vie. Tout l’orage fort, c’est la langue déclouée de la Terre.

Je me penche sur les disloqués, c’est plusieurs, c’est nous. Je soigne les tombés flasques, puis les tombés froids, ce qui ressemble à des poupées déliées : je couds les bras au mauvais torse, et les torses au mauvais sexe, comme moi aux mauvais rêves, comme moi aux mauvais moi.
Mon confident, c’est toi.
Un garçon, une fille, surgis de mon corps général, corps mentir, corps sans-avoir.
Je m’aime maigre, tu m’aimes perte, maigre.

Petits bas usés qui ne tiennent plus, bottes qu’on perd, foulard pour bloquer les mystères, je, dans le vêtement troué, je, le désir sans rêve.
Je découpe aux ciseaux fins les enfants du vacarme, ceux des paraboles, en surplus comme en nécessité, et cœur, la sueur.

J’écris des codes incomplets : avec un clou, je grave, et c’est braillage, et c’est plainte, ma grotte est un livre ouvert, mon être est un cahier d’écolier, des cris, des bris, des bouts de mots, des signes, chaque criminel de moi.
J’ai les yeux bleus fermés, je suis muet sous les amoncelés.

Je perds mes enfants par globe d’en haut, ma tête, et caverne d’en bas, ma vulve.
C’est une pensée informe dans le sang du lit.
De mes cuisses, est sorti l’homme cratère.
L’acide est versée, il ne reste plus qu’à brûler.

La rue est pleine d’illettrés.
Les mots n’existent pas comme la pureté, au plus près de la plaine blanche.
Il ou elle, c’est total imprécis.
Le grand sourire des transparents.
Il est accroupi depuis la fin du monde.
Quelqu’un de maternel parle sans croire.
Mes ongles écrivent des lettres compromettantes. Occuper le temps corporel des enfants ; ce crime, peur de l’âme, est dans la vie.

Cœurs, j’habite le fameux combat. Tissus, je descends dans la grotte. Gazes, je ne suis pas pardonné. Chiffons, les taches, je suis mordu, la parole est encore un miracle.
Et c’est ma voix, le nord.

Je sais, je suis passé, maintenant, je suis vécu de nuit. Je suis mêlé aux corps couchés, aux ventres criblés, offerts.
Le vent léger, pur, ne rend vivants que les tissus.
Les dos deviennent des choses apaisées, avec courbe parfaite du silence :
un meurt l’autre, je suis leurs yeux éteints, je prends une tête, ce qui en reste. Je caresse la vie rapide des déchirés, je suis dans toutes les bouches ouvertes, ça va sans moi, la feuille monte, ça va hors de moi, une feuille patine sur le sol.

Je suis aux champs vagues, aux errants. Avance-moi, recule-moi, frissonne-moi, tisonne-moi, enflamme-moi.
On n’assassine pas que les petits de la chienne.
N’importe qui, quoi est amené à sa disparition.

Je parle tout bas à mon étrange main.

J’ai été choisi par les mots casser, détruire.

J’ai fleuri, j’ai embaumé les grandes rues, j’ai déjoué les flèches, je me suis inversé, je suis devenu quelqu’un d’innommable en tout ou en partie.

Je vais tourner, marcher, hurler dans un parc, j’enjambe ce qui meurt, je lance du pain sec à des oiseaux affamés, je lance des miettes à l’origine du monde.

Je suis laideur nette dans ma part d’ombre et ma langue goûte les dialectes effacés.

Ne pas trancher ma gorge, je cherche toujours le lit aveugle ; je suis au creux, c’est vide compliqué, je suis au ciel, c’est pur déboîté, une caravane d’oiseaux glisse.

Je suis cousu aux orifices du vivant, à tous les orifices du vivant,
voilà pourquoi je risque les portes, les embrasures, les précipices, je suis épuisé de porter la personne, je suis mort de chacun.
Ma robe, la démente et ma robe, la chevauchée, je suis l’apothéose.
Je m’invente quelqu’un, le lit froid, cul et pieds glacés, penser la méduse au sang figé, penser maman, tu m’entends.

Sous les vaguelettes, mon cœur chante juste, un lac devient un esprit dangereux, la fente ne retient pas ses coulées tempêtes majestés.

Tomber quand les balles, il a fallu le crâne faire, défaire, refaire, laisser faire.
Naisse le corps puis perce le corps. Après la joute êtres-non-êtres, je déchire et partage les victimes, entre nous:
toi prends buccal, moi prends vocal, toi prends peaux, lambeaux, et moi prends manteau, chapeau.

On est caché dans la langue sacrée.

Quand je m’épouse passé, quand je m’épouse futur, je ne suis que de la salive, je me bois, je vais au corridor, trois fenêtres, un paquet laissé là, pour ne pas tomber, je pense à ma fêlure, je ne vois plus rien devant l’amoncellement des douilles.

On pleure derrière une porte. Sur le balcon, il y a une vitre cassée, un corps inversé, un vieux baiser mal appliqué. Je suis des voix montantes et descendantes aucun ne porte les linges inspirés, je suis des voiles qui plissent, des bateaux blancs qui partent, débordent, parce que j’ai été lapidé trois fois, battu à coups de pelles, frappé
aux hanches et aux épaules par bâtons, j’ai été appelé par mon nom.

Je, l’os des torses.
Je, les pensées crues.
Je, l’anus, et je, l’esprit, broken tongue.

Âme bègue sur âme aphasique, ventre terrestre sur ventre agresse.
Beauté, fièvre qui voltige à l’air libre, beauté, la montagne sacrifice apparaît, beauté, carcasse, seule, vaut une vie.

J’habite les personnes, pauvres chairs, je nage à disparaître dans les sangs encore chauds.

***

Jean-Marc Desgent (né à Montréal en 1951)Strange fruits (Les poètes de brousse, 2017)

~ par schabrieres sur septembre 28, 2019.

Une Réponse to “Jean-Marc Desgent – Là-bas…”

  1. Oh, le fourmillement, le firmament des mots

    Aimé par 2 personnes

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