Roberto Juarroz – Je me bois…
Je me bois dans le verre d’eau dont je calme ma soif.
Je m’écoute au terme de la parole par quoi je nomme le monde.
Je m’attends derrière la porte où j’appelle.
Je me souviens de moi dans la substance de l’oubli où je m’occulte en ma mémoire.
Je m’épelle comme un rêve syllabique
dans le regard par quoi me lisent tes yeux.
Je fais ma reconquête en pratiquant la science de la perte.
Et je ne reconnais ma chanson et mon ombre
que dans l’art secret des chemins effacés.
J’ai pu apprendre, avant de m’en aller,
à ne pas me laisser dessiner par la sèche silhouette de l’homme.
*
Me bebo en el vaso de aqua con que calmo mi sed.
Me escucho al final de la palabra con que nombro al mundo.
Me espero detrás de la puerta a la que llamo.
Me recuerdo en la sustancia del olvido con que me oculto en mi memoria.
Me deletreo como un sueño silábico en la mirada con que me leen tus ojos.
Me reconquisto investigando la ciencia de la pérdida.
Y sólo reconozco mi canción y mi sombra
en el arte secreto de los caminos borrados.
He podido aprender, antes de irme,
a no dejarme dibujar por la silueta seca del hombre.
***
Roberto Juarroz (1925-1995) – Sexta poesía vertical (1975) – Poésie verticale (Fayard, 1989) – Traduit de l’espagnol (Argentine) par Roger Munier.