Gilbert Langevin – Je me présente…
Je me présente : mon nom est NUL
je ne puis te donner que la rage
étais-je beau
excuse mon nouveau visage
et ces mains que j’ai
sont sèches comme usées
je ne puis te donner que la rage
mais qui donc mieux que moi
saurait te conduire
au coeur du choix
La règle que j’attaque, c’est celle qui te fixe au
plancher. Celle des maîtres sans âme avouable.
Ils étaient là au bon moment. Ils passent près
des berceaux et se gardent bien de sourire ou de
s’apitoyer. Ils ont mots durs et profil d’acier
pour tout ce qui n’engraisse pas assez. La règle
que j’attaque, c’est celle bâtarde qui cède à
cette boue le privilège de respirer.
On peut être frauduleusement soi-même. On
peut, plein de fougue et grésillant, trimbaler des
humeurs honorables en demeurant le singe d’un
ange à la remorque d’un champignon. Ce qui
arrive au bout de la routine ne déride pas mais
comprime sous un amoncellement de servitudes.
L’autre manière de se ranger du bon côté nous
reporte mille ans en arrière.
Que vous me trouviez d’un style aigre
prouve que le temps
combine ses balances
de telle sorte que ma main
sache donner à la page
un lendemain sacré
que vous me disiez anachronique
confirme que mon sang
cherche au moins ce que vous
ignorez
que vous criiez scandale
au simple aveu d’ennui
dont je couronne ma vie
atteste hors tout mirage
que je suis un des sages
qui sauveront le monde
***
Gilbert Langevin (1938-1995) – La seringue et la douche (Éditions du Jour, 1973)