Guillaume IX – Je vais faire un poème sur le pur néant
Je vais faire un poème sur le pur néant :
Ce ne sera pas sur moi ni sur d’autres gens,
Ce ne sera pas sur l’amour, sur la jeunesse,
Ni sur rien d’autre,
Il vient d’être trouvé tandis que je dormais
Sur mon cheval.
Je ne sais pas à quel heure je vins au jour :
Je ne suis ni allègre ni chagriné,
Je ne suis ni sauvage ni familier,
Et n’y puis rien :
Ainsi je fus de nuit doué par une fée
Sur un haut puy.
Je ne sais pas l’instant ou j’ai pris mon sommeil,
Ni l’instant ou je veille, à moins qu’on me le dise.
Peu s’en faut si mon cœur n’est pas parti
D’un deuil cruel ;
Mais voilà qui m’importe autant qu’une souris,
Par saint Martial !
Je suis malade et tremble de mourir,
Et je sais seulement ce que j’en entends dire ;
Un médecin je chercherai à mon plaisir,
Je n’en sais de pareil .
On est bon médecin quand on sait me guérir,
Non, si j’ai mal .
Une amie, j’en ai une, et je ne sais qui elle est,
Jamais je ne la vis, je le dis par ma foi ;
Elle ne m’a rien fait qui me plaise ou me pèse,
Ca m’est égal,
Car jamais il n’y eut ni Normand ni Français
Dans ma maison.
Jamais je ne la vis, pourtant je l’aime fort,
Jamais elle ne me fit un tort, ni mon droit,
Quand je ne la vois pas, m’en porté-je plus mal ?
Qu’importe un coq !
Car j’en connais une plus aimable et plus belle,
Et qui vaut mieux .
Je ne sais pas l’endroit ou elle est établie,
Si c’est dans la montagne ou si c’est dans la plaine ;
Je n’ose pas dire le tort qu’elle m’a fait
Mais il m’importe,
Et je suis affecté qu’elle demeure ici
Quand je m’en vais.
Je l’ai fait ce poème, et je ne sais sur qui ;
Et je vais le faire parvenir à celui
Qui me le fera parvenir par autrui
Là vers l’Anjou,
Pour qu’il me fasse parvenir de son étui
La contre-clé .
*
Farai un vers de dreyt nien
Farai un vers de dreyt nien:
Non er de mi ni d’autra gen,
Non er d’amor ni de joven,
Ni de ren au,
Qu’enans fo trobatz en durmen
Sobre chevau.
No sai en qual horà’m fuy natz:
No suy alegres ni iratz,
No suy estrayns ni sui privatz,
Ni no’n puesc au,
Qu’enaissi fuy de nueitz fadatz,
Sobr’un pueg au.
No sai qu’oram suy endurmitz
Ni quora’m velh, s’om no m’o ditz
Per pauc no m’es lo cor partitz
D’un dol corau;
E no m’o pretz una soritz,
Per sanh Marsau!
Malautz suy e cre mi murir,
E ren no’n sai mas quan n’aug dir;
Metge querrai al mieu albir
E no sai cau;
Bos metges er si’m pot guerir,
Mas non, si amau.
Amig’ ai ieu, no sai qui s’es,
Qu’anc non la vi, si m’ajut fes;
Ni’m fes que’m plassa ni que.m pes,
Ni no m’en cau,
Qu’anc non ac Norman ni Frances
Dins mon ostau.
Anc non la vi et am la fort,
Anc no n’aic dreyt ni no’m fes tort;
Quan non la vey, be m’en deport,
No’m pretz un jau,
Qu’ie’n gensor e bellazor,
E que mais vau.
Fag ai lo vers, no say de cuy;
Et trametrai lo a selhuy
Que lo’m trametra per autruy
Lay ves Anjau,
Que ‘m tramezes del siev estuy
La contraclau.
***
[…] Je vais faire un poème sur le pur néant : Ce ne sera pas sur moi ni sur d’autres gens, Ce ne ser… […]
J’aimeJ’aime
Guillaume de Poitiers, prince d’Aquitaine and forerunner of Mallarmé | Mictlantecuhtli said this on septembre 6, 2012 à 4:52 |
D.Demartini : Cela veut-il dire que vous laissez une part de travail à celui qui va contempler l’œuvre ?
Pierre Soulages : Oui. Il y a des années, on m’avait apporté un poème de Guillaume IX en langue d’oc. Guillaume IX était duc d’Aquitaine, il était le grand-père d’Alienor, et il a écrit un poème sur le pur rien. « Il m’est venu pendant que je dormais sur mon cheval ». C’est le début. Ce ne sera pas sur moi, sur l’amour, sur la jeunesse. Il exécute en trois lignes les lieux communs habituels à la poésie. Le poème est assez long. C’est une sorte de quête continuelle qui se termine de manière très singulière. « Mon vers est fait et je ne sais pas de quoi ni sur quoi. Mais je vais le transmettre là-bas vers l’Anjou pour que celui qui le recevra me renvoie de son étui la contre-clef ». C’est la deuxième clé pour ouvrir un coffre. Au fond c’est une poésie du mystère. C’est le contraire de ce qu’on a fait beaucoup plus tard de la poèsie, au XVème siècle par exemple, et même déjà avant avec Rutebœuf et Villon. Villon propose des lectures à plusieurs niveaux. C’est une poésie du secret, c’est-à-dire le contraire du mystère. Le secret aspire à être découvert. On sait très bien que la lecture des poèmes de Villon est à plusieurs niveaux. Il y a le niveau coquillard, il y a celui de l’évidence et puis il y a probablement un sens homosexuel. Ce sont trois niveaux cachés que Villon connaissait parfaitement.
D.D. : Si je vous comprend bien vous faites de la peinture du mystère plutôt que de la peinture du secret.
P.S. : Absolument. Je ne sais pas si on peut dire que c’est du mystère mais enfin je ne peux pas anticiper sur la qualité de l’écho que ma peinture recevra ou de ce qu’y investira celui qui l’appréciera. Je laisse tout cela ouvert.
D.D. : Pourtant vous avez besoin de la « contre-clef ».
P.S. : La « contre-clef » m’intéresse. Je ne le nie pas. Mais je ne dis pas qu’elle ouvre réellement. Et puis il y a sûrement plusieurs « contre-clefs » possibles.
D.D. : Mais alors à quoi sert la « contre-clef » ? Est-ce simplement une sorte de garantie ou sert-elle à relancer le travail ?
P.S. : Elle ne me sert pas à grand-chose, si ce n’est qu’elle me permet de connaître le genre de relation que quelqu’un a pu avoir avec un des objets que je lui ai proposé et que j’appelle un tableau.
D.D. : S’il s’agit de faire de la peinture du mystère, peut-on dire que le moment où vous reconnaissez que l’œuvre est achevée est celui où vous comprenez qu’elle est mystérieuse. Est-ce qu’il faut du mystère au bout pour que ça marche ?
P.S. : Il faut atteindre le moment où elle est capable d’aller aussi loin chez quelqu’un qui la regarde qu’elle va loin en moi. C’est tout ce que je peux dire. Mais ce loin là est différent entre nous. Je ne crois pas du tout qu’il s’agisse de la même chose.
Extrait de cet entretien ;
J’aimeAimé par 1 personne
Vincent said this on février 26, 2014 à 8:09 |