Jorge Luis Borges – Les fleuves
Nous sommes temps. Nous sommes la fameuse
parabole d’Héraclite l’Obscur,
nous sommes l’eau, non pas le diamant dur,
l’eau qui se perd et non pas l’eau dormeuse.
Nous sommes fleuve et nous sommes les yeux
du grec qui vient dans le fleuve se voir.
Son reflet change en ce changeant miroir,
dans le cristal changeant comme le feu.
Nous sommes le vain fleuve tout tracé,
droit vers sa mer. L’ombre l’a enlacé.
Tout nous a dit adieu et tout s’enfuit
La mémoire ne trace aucun sillon.
Et cependant quelque chose tient bon.
Et cependant quelque chose gémit.
*
Son los ríos
Somos el tiempo. Somos la famosa
parábola de Heráclito el Oscuro.
Somos el agua, no el diamante duro,
la que se pierde, no la que reposa.
Somos el río y somos aquel griego
que se mira en el río. Su reflejo
cambia en el agua del cambiante espejo,
en el cristal que cambia como el fuego.
Somos el vano río prefijado,
rumbo a su mar. La sombra lo ha cercado.
Todo nos dijo adiós, todo se aleja.
La memoria no acuña su moneda.
Y sin embargo hay algo que se queda
y sin embargo hay algo que se queja.
***
Jorge Luis Borges (1899-1986) – Los conjurados (1985) – La proximité de la mer: Une anthologie de 99 poèmes(Gallimard, 2010) – Traduit de l’espagnol (Argentine) par Jacques Ancet.
[…] Le temps c’est nous, et nous sommes la fable Que nous disait Héraclite l’Obscur. Nous sommes d’eau, et non de diamant dur, D’eau qui se perd et n’a de lieu durable. […]
J’aimeJ’aime
Borges | Pays de poésie said this on août 26, 2018 à 5:00 |