Primo Levi – Charges pendantes

Je ne voudrais surtout pas déranger l’univers,
J’aimerais, si possible,
Passer outre en silence,
D’un pas furtif de contrebandier,
Ou comme l’on s’éclipse d’une fête.
Oui, arrêter sans grincements
Le piston têtu des poumons,
Et dire à ce cher cœur,
Médiocre musicien, pauvre en rythmes :
— Après 2,6 milliards de pulsations,
Tu dois être bien las : donc, ça suffit, merci beaucoup —
Si possible, comme je disais ;
N’étaient ceux qui restent,
L’œuvre laissée inachevée
(Toute vie est inachevée),
N’étaient les plis et les plaies du monde ;
Les charges pendantes,
Les dettes en cours,
Les précédents
Engagements, inéluctables.

*

Carichi pendenti

Non vorrei disturbare l’universo.
Gradirei, se possibile,
Sconfinare in silenzio
Col passo lieve dei contrabbandieri
O come quando si diserta una festa.
Arrestare senza stridori
Lo stantuffo testardo dei polmoni,
E dire al caro cuore,
Mediocre musicista senza ritmo:
– Dopo 2,6 miliardi di battute
Sarai pur stanco; dunque, grazie e basta-.
Se possibile, come dicevo;
Se non fosse di quelli che restano,
Dell’opera lasciata monca
(Ogni vita è monca),
Delle pieghe e piaghe del mondo;
Se non fosse dei carichi pendenti,
Dei debiti pregressi,
Dei precedenti inderogabili impegni.

*

Still to Do

I wouldn’t disturb the universe.
I’d like, if possible,
To get free silently,
Light-footed, like a smuggler,
The way one slips away from a party.
To halt the stubborn pumping of my lungs
Without a squeal,
And tell my lovely heart,
That mediocre musician with no rhythm:
“After 2.6 billion heartbeats
You must be tired, too; thank you, it’s enough.”
If possible, as I was saying—
If it weren’t for those who stay behind,
For the work cut short
(Each life’s cut short),
For the world’s turns and wounds;
it wasn’t for the unfinished business,
The long-standing debts,
The old unavoidable commitments.
December 10, 1984

***

Primo Levi (1919-1987) – Ad ora incerta (Milano, Garzanti 1984) – A une heure incertaine (Gallimard, 1997) – Traduit de l’italien par Louis Bonalumi – The Survivor (Penguin Classics, 2018) – Translated by Jonathan Galassi.

~ par schabrieres sur février 28, 2010.

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