Arthur Rimbaud – Bannières de mai
Aux branches claires des tilleuls
Meurt un maladif hallali.
Mais des chansons spirituelles
Voltigent parmi les groseilles.
Que notre sang rie en nos veines,
Voici s’enchevêtrer les vignes.
Le ciel est joli comme un ange.
L’azur et l’onde communient.
Je sors. Si un rayon me blesse
Je succomberai sur la mousse.
Qu’on patiente et qu’on s’ennuie
C’est trop simple. Fi de mes peines.
Je veux que l’été dramatique
Me lie à son char de fortune.
Que par toi beaucoup, ô Nature,
–– Ah moins seul et moins nul !–– je meure.
Au lieu que les Bergers, c’est drôle,
Meurent à peu près par le monde.
Je veux bien que les saisons m’usent.
A toi, Nature, je me rends ;
Et ma faim et toute ma soif.
Et, s’il te plaît, nourris, abreuve.
Rien de rien ne m’illusionne ;
C’est rire aux parents, qu’au soleil,
Mais moi je ne veux rire à rien ;
Et libre soit cette infortune.
*
Banners of May
Among the lime-trees’ bright branches,
A spent hunting-horn;
But lively spring songs
Flit among currant-bushes.
Let our blood laugh in our veins,
See the vines tangle.
The sky’s as sweet as angels.
Water and sky become one.
I’m off. Should a ray of light wound me
I’ll expire on the moss.
Patience, boredom
Are too simple. My pointless pains.
I want dramatic summer
To tie me to its chariot of fortune.
Nature, let me die so much by you,
Less lonely, less useless!
Not like Lovers––strange––who
Die mostly by the world.
I don’t mind that the seasons use me.
I give myself up, Nature, to you,
And my hunger, all my thirst.
If it pleases you, nourish and quench.
Nothing at all deceives me;
To laugh at the sun means laughing at parents,
But me, I want nothing, nothing:
And may this misfortune live free.
Mai 1872.
***
Arthur Rimbaud (1854-1891) – Poésies (Poésie/Gallimard) – Collected Poems (Oxford, 2001) – Translated by Martin Sorrell.
Beaucoup de gens ne comprennent pas pourquoi, alors qu’il avait ça dans la peau, il a pu subitement et définitivement abandonner la poésie. Il y a même des férus de ce poète qui le lui reproche. Ça m’intrigue moi également qui me sens si dépendant de la poésie. Mais à lire cette poésie et celle-là ;
Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme.
je me suis dis que l’explication est peut-être tout bêtement là, dans ces deux derniers vers, c’est ce qu’il a fait de partir loin, bien loin, par la nature et comme un bohémien, certes un bohémien commerçant, mais un bohémien quand même sachant qu’il restait peu de temps au même endroit. En l’occurence, comme il a surtout fréquenté des endroits désertiques, qu’il les a traversé à dos de chameau, de parler de nomade serait plus approprié.
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Vincent said this on Mai 21, 2018 à 5:15 |
Bon jour,
Je me dis toujours que Hugo est l’écrin de la poésie et Rimbaud le joyau.
En fait, Arthur ne se pose pas la question d’être poète ou d’écrire d’écrire de la poésie. Normal. Il est la Poésie. Celle-ci n’est pas qu’écriture, elle a tous les aspects, les habits … On pourrait considérer que Arthur c’est l’anti-poète …
Pour ma part, je ne supporte pas ce triptyque de poètes : Arthur (anti-poète), Paul (poète maudit) et Charles (poète authentique).
Max-Louis
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iotop said this on Mai 21, 2018 à 5:50 |
Tout à fait d’accord avec vous, Max-Louis. Rimbaud est la Poésie. Et je déteste les étiquettes que collent à ces poètes des gens qui n’y connaissent rien, comme si c’était de vulgaires produits. Il n’y a ni anti-poètes, ni poètes maudits. Il y a la poésie, point.
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schabrieres said this on Mai 21, 2018 à 8:16 |
Je trouve comme René Char, que Rimbaud a bien fait de partir et de renoncer à la poésie. Il ne faut pas oublier qu’il détestait le milieu littéraire de l’époque, notamment parisien, et n’avait que peu de considération pour ce qu’écrivait Verlaine. Je trouve admirable de sa part, d’avoir su mettre un point final, et d’avoir su qu’il avait tout dit, et que son œuvre était terminée. Il y a tant d’artistes et d’écrivains pitoyables qui continuent à créer, alors qu’ils n’ont plus rien à dire, et continuent à pondre leurs « œuvres » sans passion, souvent pour des raisons bassement financières, ou pour être célèbres ! Surtout en ce qui concerne la poésie, il doit s’agir d’une nécessité intérieure, d’un élan vital, d’une question de vie ou de mort.
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schabrieres said this on Mai 21, 2018 à 8:09 |
Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud !
Tes dix-huit ans réfractaires à l’amitié, à la malveillance, à la sottise des poètes de Paris ainsi qu’au ronronnement d’abeille stérile de ta famille ardennaise un peu folle, tu as bien fait de les éparpiller aux vents du large, de les jeter sous le couteau de leur précoce guillotine. Tu as eu raison d’abandonner le boulevard des paresseux, les estaminets des pisse-lyres, pour l’enfer des bêtes, pour le commerce des rusés et le bonjour des simples.
Cet élan absurde du corps et de l’âme, ce boulet de canon qui atteint sa cible en la faisant éclater, oui, c’est bien là la vie d’un homme ! On ne peut pas, au sortir de l’enfance, indéfiniment étrangler son prochain. Si les volcans changent peu de place, leur lave parcourt le grand vide du monde et lui apporte des vertus qui chantent dans ses plaies.
Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud ! Nous sommes quelques-uns à croire sans preuve le bonheur possible avec toi.
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René Char – Fureur et mystère
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schabrieres said this on Mai 21, 2018 à 9:25 |
« Il y a tant d’artistes et d’écrivains pitoyables qui continuent à créer, alors qu’ils n’ont plus rien à dire » absolument d’accord ! Et cela me fait penser dans un registre autre que Frédéric Dard disait : » Dans chacun de mes romans j’estime qu’il y a une bonne page et encore ».
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iotop said this on Mai 21, 2018 à 8:39 |