Bertolt Brecht – Du pauvre B.B. (1922)
1
Moi, Bertolt Brecht, je suis des forêts noires.
Ma mère m’a porté dans les villes
Quand j’étais dans son ventre. Et le froid des forêts
En moi restera jusqu’à ma mort
2
Je suis chez moi dans la ville d’asphalte
Depuis toujours muni des sacrements des morts ;
De journaux, de tabac, d’eau-de-vie
Méfiant, flâneur et finalement satisfait.
3
Je suis gentil avec les gens
Je fais comme eux, je mets un chapeau dur.
Je dis : ce sont des animaux à l’odeur très particulière,
Puis je dis : ça ne fait rien, je suis l’un d’eux.
4
Sur mes chaises à bascule parfois
J’assieds avant midi deux ou trois femmes.
Je les regarde sans souci, et je leur dis :
Je suis quelqu’un sur qui vous ne pouvez pas compter.
5
Le soir j’assemble chez moi quelques hommes
Et nous causons, nous disant « gentleman ».
Ils posent les pieds sur ma table et déclarent :
Pour nous bientôt, ça ira mieux. Jamais je ne demande : Quand ?
6
Le matin les sapins pissent dans l’aube grise
Et leur vermine, les oiseaux, commencent à crier.
C’est l’heure où dans la ville, je siffle mon verre, je jette
Mon mégot, je m’endors plein d’inquiétude.
7
Nous nous sommes assis, espèce légère
Dans des maisons qu’on disait indestructibles.
(Ainsi nous avons élevé les longs buildings de l’île Manhattan,
Et ces minces antennes dont s’amuse la mer Atlantique.)
8
De ces villes restera celui qui passait à travers elles : le vent !
La maison réjouit le mangeur : il la vide.
Nous le savons, nous sommes des gens de passage ;
Et qui nous suivra ? Rien qui vaille qu’on le nomme.
9
Dans les cataclysmes qui vont venir, je ne laisserai pas, j’espère,
Mon cigare de Virginie s’éteindre par amertume,
Moi, Bertolt Brecht, jeté des forêts noires
Dans les villes d’asphalte, quand j’étais dans ma mère, autrefois.
***
Bertolt Brecht (1898-1956) – Traduction française de Gilbert Badia & Claude Duchet
une belle découverte comme plusieurs autres en quelques minutes sur ce site!
J’aimeJ’aime
geneviève sénéchal said this on mars 27, 2009 à 9:33 |
[…] de Céline **** Bertolt Brecht « Du pauvre B.B » à lire en intégralité ici Tweet Aucun […]
J’aimeJ’aime
Tristesse contemporaine, les ravages glacés du spleen said this on avril 18, 2012 à 7:02 |
[…] de Céline **** Bertolt Brecht « Du pauvre B.B » à lire en intégralité ici Share […]
J’aimeJ’aime
| Heaven can wait said this on avril 20, 2012 à 9:01 |
[…] Autoportrait poétique de Bertolt Brecht […]
J’aimeJ’aime
LEO NEMO L’ÉTERNITÉ ROMAN Chapitre 41 et/ou 315 Beau comme un oiseau ( nageant dans le ciel ) | LEO NEMO L' ÉTERNITÉ ROMAN said this on février 10, 2014 à 9:47 |