Jacques Réda – Écoutez-moi…
Écoutez-moi. N’ayez pas peur. Je dois
vous parler à travers quelque chose qui n’a pas de nom
dans la langue que j’ai connue,
sinon justement quelque chose, sans étendue, sans profondeur, et qui ne fait jamais obstacle (mais tout s’est affaibli)
Écoutez-moi. N’ayez pas peur. Essayez, si je crie,
de comprendre : celui qui parle
entend sa voix dans sa tête fermée ;
or comment je pourrais,
moi qu’on vient de jeter dans l’ouverture et qui suis décousu ?
Il reste, vous voyez, encore la possibilité d’un peu de comique, mais vraiment peu :
je voudrais que vous m’écoutiez – sans savoir si je parle.
Aucune certitude. Aucun contrôle. Il me semble que j’articule avec une véhémence grotesque et sans doute inutile – et bientôt la fatigue,
ou ce qu’il faut nommer ainsi pour que vous compreniez.
Mais si je parle (admettons que je parle),
m’entendez-vous ; et si vous m’entendez,
si cette voix déracinée entre chez vous avec un souffle sous la porte,
n’allez-vous pas être effrayée ?
C’est pourquoi je vous dis : n’ayez pas peur, écoutez-moi,
puisque déjà ce n’est presque plus moi qui parle, qui vous appelle
du fond d’une exténuation dont vous n’avez aucune idée,
et n’ayant pour vous que ces mots qui sont ma dernière enveloppe en train de se dissoudre.
*
Listen to me, don’t be afraid, I must
talk to you through something that has no name
in the language I’ve known
if not, yet precisely, something without expanse, without depth, and which never hinders (but all is weakened).
Listen to me. Don’t be afraid. If I scream, try to
understand: he who speaks
hears his own voice in his locked-up head;
or else how would I,
who’s just been thrown into the opening and who feels disjointed?
There still remains, as you see, some liability of just a little comical but very little indeed:
I wish you’d listen to me; without knowing whether I speak.
No certainty. No control. I have the impression that I articulate with a grotesque and undoubtedly useless vehemence – that will soon become weariness
or what should be called thus in order that you may understand it.
But if I speak (let’s admit that I do so),
do you hear me; and if you do,
if this unrooted voice comes to you with a breath under your door,
won’t you be frightened?
That’s why I say unto you: Don’t be afraid, listen to me
since it’s almost no longer me who speaks, who calls you
from the bottom of an exhaustion you have no idea of
and having for you but those words which are my last shroud now being dissolving.
***
Jacques Réda (né à Lunéville en 1929) – Récitatif (Gallimard, 1970) – Translated from the French by Catherine Wieder.
Troué
On m’a balancé
sur terre comme une vieille
chaussette trouée.
Je la reprise peu à
peu, au fil de mes poèmes.
et puis cet extrait d’une lettre d’André LAUDE en hommage à René Guy CADOU écrite à Paris le 10 février 1961. André LAUDE que j’ai découvert ici et que je ne cesse de découvrir avec un immense bonheur.
« Il m’a rendu le but, la raison d’être de l’exercice du langage : témoigner de l’homme, encore de l’homme, toujours de l’homme, pour qu’un jour se lève enfin, de toutes les poitrines mêlées dans le même flux d’amour et de compréhension, une aurore formidable ».
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Vincent said this on mars 18, 2017 à 7:05 |