Rainer Maria Rilke – Le départ du fils prodigue

Quitter à présent toutes ces choses confuses
tout ce que nous possédons et qui pourtant ne nous appartient pas,
ce qui telle l’eau des vieilles fontaines
nous reflète en tremblant et décompose notre image ;
toutes ces choses qui telles des plantes armées d’épines
s’accrochent à nous une dernière fois, – ne pas s’arrêter,
et ceci et celui-là
que l’on ne voyait plus
(tant ils étaient quotidiens et ordinaires)
les regarder tout à coup en face et de près ;
d’un œil doux et conciliant comme pour la première fois ;
sentir confusément combien impersonnelle
et s’abattant sans choix allait la douleur
dont l’enfance était jusqu’aux bords remplie – :
et partir tout de même, arrachant la main à la main
comme si on rouvrait une plaie déjà guérie
et aller plus loin : mais où ? vers l’inconnu,
profondément dans un pays étranger et chaud,
qui derrière tous nos affairements démêlés
se tiendra indifférent comme un décor : jardin ou mur ;
et continuer : mû par quoi ? par nécessité ou tempérament,
par impatience ou attente obscure,
par impossibilité de comprendre ou sottise :

Prendre tout cela sur soi et en vain,
laisser tomber des choses que peut-être on tenait
pour mourir tout seul et sans savoir pourquoi – :

Est-ce là l’entrée d’une vie nouvelle ?

*

Der Auszug des verlorenen Sohnes

Nun fortzugehn von alledem Verworrnen,
das unser ist und uns doch nicht gehört,
das, wie das Wasser in den alten Bornen,
uns zitternd spiegelt und das Bild zerstört;
von allem diesen, das sich wie mit Dornen
noch einmal an uns anhängt—fortzugehn
und Das und Den,
die man schon nicht mehr sah
(so täglich waren sie und so gewöhnlich),
auf einmal anzuschauen: sanft, versöhnlich
und wie an einem Anfang und von nah;
und ahnend einzusehn, wie unpersönlich,
wie über alle hin das Leid geschah,
von dem die Kindheit voll war bis zum Rand—:
Und dann doch fortzugehen, Hand aus Hand,
als ob man ein Geheiltes neu zerrisse,
und fortzugehn: wohin? Ins Ungewisse,
weit in ein unverwandtes warmes Land,
das hinter allem Handeln wie Kulisse
gleichgültig sein wird: Garten oder Wand;
und fortzugehn: warum? Aus Drang, aus Artung,
aus Ungeduld, aus dunkler Erwartung,
aus Unverständlichkeit und Unverstand:

Dies alles auf sich nehmen und vergebens
vielleicht Gehaltnes fallen lassen, um
allein zu sterben, wissend nicht warum—

Ist das der Eingang eines neuen Lebens?

*

The Departure of the Prodigal Son

Now to go away from all this confusion
that is ours without belonging to us,
that like the water in old wellsprings
mirrors us trembling and destroys the image;
from all this, that is clinging to us
once more as if with thorns—to go away,
and on all the scattered things
you’d long since ceased to see
(they were so everyday and ordinary)
suddenly to gaze: gently, contritely,
and as in a beginning and from close by;
and to fathom how impersonally,
how over everyone the sorrow came
that filled childhood up to the brim—:
And even then to go away, hand slipping
from hand, as if you tore a new-healed wound,
and to go away: where? into uncertainty,
far into some warm, unrelated land
that behind all acting will be
indifferent as a backdrop—garden or wall;
and to go away: why? From urge, from instinct,
from impatience, from dark expectation,
from not understanding and not being understood:

To take all this upon yourself and in vain
perhaps let fall the things you’ve held,
in order to die alone, not knowing why—

Is this the way new life commences?

***

Rainer Maria Rilke (1875-1926)Neue Gedichte (1907) – Nouveaux poèmes suivi de Requiem (Points, 2008) – Traduit de l’allemand par Lorand Gaspar – New Poems (North Point Press, 2001) – Translated by Edward Snow.

~ par schabrieres sur juin 17, 2019.

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