Pier Paolo Pasolini – Supplique à ma mère (Supplica a mia madre, 1964)

Il est difficile de dire avec des mots de fils
ce à quoi dans mon cœur je ressemble bien peu.

Tu es la seule au monde à savoir, de mon cœur,
ce qu’il a toujours été, avant tout autre amour.

Voilà pourquoi je dois te dire ce qu’il est horrible de savoir :
c’est à l’intérieur de ta grâce que naît mon angoisse.

Tu es irremplaçable. Voilà ce qui a condamné
à la solitude la vie que tu m’as donnée.

Et je ne veux pas être seul. J’ai une faim infinie
d’amour, de l’amour de corps sans âme.

Parce que l’âme est en toi, c’est toi, mais tu
es ma mère et ton amour est mon esclavage :

j’ai passé mon enfance esclave de ce sentiment
élevé, irrémédiable, d’immense engagement.

C’était la seule façon de sentir la vie,
la seule couleur, la seule forme : maintenant c’est fini.

Nous survivons : et c’est la confusion
d’une vie qui renaît hors de la raison.

Je t’en supplie, ah, je t’en supplie : ne veuille pas mourir.
Je suis ici, seul, avec toi, en un futur avril…

*

Supplica a mia madre

È difficile dire con parole di figlio
ciò a cui nel cuore ben poco assomiglio.

Tu sei la sola al mondo che sa, del mio cuore,
ciò che è stato sempre, prima d’ogni altro amore.

Per questo devo dirti ciò ch’è orrendo conoscere:
è dentro la tua grazia che nasce la mia angoscia.

Sei insostituibile. Per questo è dannata
alla solitudine la vita che mi hai data.

E non voglio esser solo. Ho un’infinita fame
d’amore, dell’amore di corpi senza anima.

Perché l’anima è in te, sei tu, ma tu
sei mia madre e il tuo amore è la mia schiavitù:

ho passato l’infanzia schiavo di questo senso
alto, irrimediabile, di un impegno immenso.

Era l’unico modo per sentire la vita,
l’unica tinta, l’unica forma: ora è finita.

Sopravviviamo: ed è la confusione
di una vita rinata fuori dalla ragione.

Ti supplico, ah, ti supplico: non voler morire.
Sono qui, solo, con te, in un futuro aprile. . .

*

Plea to My Mother

It’s hard to express in the words of a son
what, at heart, I’m not really like.

You alone in all the world know what love
has always come first in my heart.

This is why there’s something terrible you should know:
it’s from your grace that springs my sorrow.

You are irreplaceable. This is why the life you blessed
me with will always be condemned to loneliness.

And I don’t want to be alone. I have an infinite
thirst for love, for bodies pure and soulless.

For the soul is in you, it is you, but you are
my mother, and in your love are my fetters.

I went through childhood enslaved to a sentiment,
lofty and incurable, of overwhelming commitment.

It was the only way to feel alive, the only color,
the only form, and now it’s over.

Still, we survive—in the confusion
of a life reborn outside of reason.

I beg you, oh, I beg you: don’t wish for death.
I’m here, alone, with you, in an April to come.

***

Pier Paolo Pasolini (1922-1975) – Poesia in forma di rosa (1964) – Poésie en forme de rose (Rivages, 2015) – Traduit de l’italien par René de Ceccatty – The Selected Poetry of Pier Paolo Pasolini (The University of Chicago, 2014) – Translated by Stephen Sartarelli.

~ par schabrieres sur avril 19, 2012.

2 Réponses to “Pier Paolo Pasolini – Supplique à ma mère (Supplica a mia madre, 1964)”

  1. un hommage à l’impossible, très émouvant
    @micalement

    Aimé par 1 personne

  2. Magnifique poème poignant sur la relation fils-mère. Merci pour le partage!

    Aimé par 1 personne

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